Un écrin de cathédrales

Un écrin de cathédrales

« Voici venir des jours – oracle de Yahvé – où je conclurai avec la maison d’Israël (et la maison de Juda) une alliance nouvelle. Non pas comme l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères, les jours où je les pris par la main pour les faire sortir d’Égypte – mon alliance qu’eux-mêmes ont rompu bien que je fusse leur maître, oracle de Yahvé ! Mais voici l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël après ces jours-là, oracle de Yahvé. Je mettrai ma loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur coeur. Alors je serais leur Dieu et eux seront mon peuple. Ils n’auront plus à instruire chacun son prochain, chacun son frère, en disant : “Ayez la connaissance de Yahvé !” Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands – oracle de Yahvé – parce que je vais pardonner leur crime et ne plus me souvenir de leur péché. »

Le Livre de Jérémie, 31, 31-34.

Ӂ

0. Un nouveau jour se lève sur la cité des hommes. Et comme l’Apôtre nous pouvons dire : « Nous sommes plus proches du salut que le jour où nous avons commencé à croire. » Nous ne devons éluder aucune question. Car il n’en va pas de notre obéissance à une tradition humaine, mais à un ordre institué par Dieu en personne. Il serait audacieux d’affirmer qu’aucun précepte humain n’est venu se substituer à l’enseignement du Christ, que l’Église est pure de toute corruption théologique, et même morale ou politique, de tout pharisaïsme. Il est évident que si le Christ à nouveau se levait dans une de nos assemblées, il pourrait nous dire, nous redire, à la parabole de son temps, tout ce qu’il disait aux juifs de son époque, qui se targuaient d’être demeurés purs et sans tâches devant le Très-Haut, en raison de leur pratique scrupuleuse (des formes extérieures) de la Loi de Moïse. S’il se levait aujourd’hui dans l’une de nos assemblées, il nous dirait sans doute, comme il disait alors, qu’il n’est pas venu pour abolir la Loi enseignée à nos pères et par nos pères, mais la conduire à sa perfection. Aussi, de sa doctrine, pas un iota, pas un point sur un i ne sera ôté, jusqu’à ce que tout soit conduit à sa perfection. Autrement dit : il nous enseignerait du même enseignement, celui que nous avons reçu depuis la fondation du monde. Et pourtant ce serait pour nous un enseignement nouveau.

1. Pour nous, nous n’avons jamais été concernés par la Loi de Moïse, ni même par son espérance singulière : la venue du Roi-Messie-Sauveur, que YHWH avait promis à son peuple par Abraham, Isaac et Jacob. La preuve en est que les juifs d’aujourd’hui vivent encore de cette loi et de cette espérance, continuant d’interpréter les signes proposés par l’histoire en fonction de l’accomplissement prochain, pour eux, de cette bienheureuse espérance, l’avènement du Christ-Messie qui régnera sur les nations et les gouvernera d’un sceptre de fer. Et c’est cette spécificité qui les distingues, encore aujourd’hui, en tant que peuple dans le jeu des nations. Nous vivions, quant à nous, selon la loi de l’ordre naturel. Celui-ci ne nous est pas révélé par l’étude des textes sacrés transmis par nos anciens (les mythes ayant au contraire la fonction de voiler l’origine : non pour cacher ce que l’on sait et dont on veut conserver pour soi le secret, mais ce que l’on ignore), mais par l’anthropologie. Plus exactement : nous avons émergé dans l’histoire, par la rencontre entre l’ordre naturel selon lequel vivaient nos tribus barbares, et l’ordre civilisé de l’Empire romain. Je pense que cette donnée est fondamentale, si l’on veut saisir le sens et la nature du développement du christianisme historique, depuis le haut Moyen-Âge jusqu’à aujourd’hui.

Notre identité profonde, aujourd’hui encore, est faite de ce curieux mélange entre deux ordres antinomiques, la loi naturelle et la loi romaine, qui a donné naissance à la civilisation occidentale, à ses belles et douloureuses contradictions. L’Empire chrétien d’Occident est une construction historique, dont on ne peut pas dire qu’elle soit essentiellement de nature spirituelle : la Cité de Dieu et la cité terrestre, qui dans un premier moment s’y confondent, entrent nécessairement l’une et l’autre dans des rapports de puissance et de domination, dans lesquels la cité terrestre, l’État, ne pouvait que l’emporter. Du moins dans l’ordre temporel. Disons, pour être plus précis, que l’Empire chrétien d’Occident n’est pas encore devenu pleinement spirituel ; nous le considérons comme un écrin, à l’intérieur duquel fut conservée et transmise la Loi de l’Église, laquelle a pour fonction de conserver les rites institués par le Seigneur et par les Apôtres, jusqu’à la fin des temps. Nos anciennes tribus barbares, la loi romaine, l’Église du Christ, l’Empire chrétien d’Occident : écrin de la Loi du Christ.

2. Nous ne sommes pas concernés par la Loi de Moïse, mais par les enseignements de Jésus-Christ. Ces enseignements, chaque jour de notre existence, nous avons appris et nous apprenons à les mettre en pratique, afin de leur faire rendre du fruit. Mais ces enseignements ne nous sont pas parvenus en leur perfection. Non qu’ils ne fussent parfaits en eux-mêmes et qu’il eût fallu, dès lors, ajouter à la Révélation, mais ils furent implantés comme un germe dans notre terre, qui allait devenir, de ce fait, une nouvelle terre d’élection, une terre sainte, et apprendre, à son tour, à porter les contradictions que doit assumer et dépasser le peuple de Dieu, dans ce temps historique qui est celui de son éducation. Le germe d’une plante, d’un arbre, qui a dû croître au milieu de beaucoup d’autres plantes, en sorte que notre histoire peut être comprise toute entière par la parabole du bon grain et de l’ivraie. Et c’est aussi selon cette parabole que nous comprenons ce que pourrait être le temps de la Moisson annoncé pour la fin de l’histoire : le Christ, après s’être manifesté une première fois dans l’histoire en qualité de semeur, se manifeste une seconde fois en qualité de moissonneur. Prions pour que le maître de la moisson nous envoie des ouvriers en abondance, car c’est aujourd’hui, non pas hier et ni demain, que nous vivons de l’Évangile, de la Parole de Dieu, telle que nous l’avons reçue dans notre cœur, telle qu’elle fut imprimée sur notre âme. Et c’est aujourd’hui que nous comprenons, à la manière des premiers chrétiens, qui ont vécu l’Apocalypse dans leur chair, ce que sont la vertu et la puissance du baptême. Car ce n’est pas seulement à un peuple où une nation que le Christ doit être révélé, mais c’est au monde entier, au cœur de tous les hommes, dans l’âme la plus intime et la plus profonde du moindre des enfants de Dieu. C’est notre vocation aujourd’hui.

3. Nous, nous ne connaissons que la loi du Christ. Et c’est par là que la Loi de Moïse, les Prophète et l’histoire d’Israël en général, ne nous sont pas étrangers. Mais nous la connaissons dans son écrin de cathédrales, dans ses contradictions apparentes, presque dans ses compromissions avec le monde, en raison de la dureté du cœur des hommes. Et pendant plus de deux siècles, certes, c’est l’édifice, le temple fait de mains d’hommes – temple admirable, fait néanmoins de tout ce qui fait un homme –, qui fut attaqué et partiellement détruit. Mais la Loi qui y était contenue, gardée comme un précieux trésor, elle, ne fut pas détruite, même partiellement. Au contraire, on dirait bien qu’elle est en train d’éclore, pour nous, dans une dimension de résonance que nous ne lui avions pas soupçonné jusqu’ici. Parce que notre connaissance et notre compréhension de la Parole, et de la réalité qu’elle désigne, se sont enrichies de toutes ces épreuves, et que nous en sommes riches sans avoir eu à les traverser. Rendons grâce au Seigneur pour cela. Cependant, nous ne pouvons pas dire que la Loi du Christ, son enseignement ou l’exemple qu’il nous a donné, soit au cœur de chaque homme, imprimé sur l’âme de chacun des enfants de Dieu, en sorte qu’il ne serait plus besoin ni de livre, ni de transmission, ni même d’éducation, car alors tous les hommes vivraient pleinement de cette nature que le Christ était venu nous partager. Nous n’en sommes pas là. Il suffit que nous regardions autour de nous, dans le monde, il suffit que nous sondions notre propre cœur, pour le comprendre et le réaliser. Nous commençons tout juste, en un certain sens, à ouvrir le Livre, à faire résonner en nous la Parole, à accepter son Mystère. Et pour nos enfants, mon Dieu, je prie pour que nous allégions autant que nous le pourrons, par les fruits et les mérites de notre propre conversion, les épreuves qu’ils devront traverser sur leur propre chemin de se tourner vers Vous. Nous ne nous sommes, ni ne leur avons rendu la tâche facile : – nous l’avons rendue d’autant plus nécessaire.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *