L’urgence d’être chrétien

L’urgence d’être chrétien

La première difficulté, c’est de ne pas faire obstacle aux œuvres de la grâce. Ce sont essentiellement, au point où nous en sommes (et qui sait le point où nous en sommes) des œuvres de transformation intérieures. Nous pourrions aussi parler de purification, de guérison, de rédemption, de réconciliation, ou encore de sacrifice ! selon le sens enseigné par la Croix de Notre Seigneur Jésus Christ. C’est l’opération de conversion que le Saint Esprit réalise en nous, et qu’il ne réalise pas en une et une fois pour toutes, mais continuellement. Comprendre, avec humilité et profondeur, que nous avons reçu, comme don et comme héritage, la grâce de Dieu et que nous goûtons déjà, en cette vie, des prémisses de la vie future : ce sont les fruits de l’Esprit, qui est Esprit de Vérité et de la Vie en Dieu, Esprit de Sainteté, qui nous forme selon sa mesure, selon sa sainteté. C’est cela que nous sommes, que nous devenons, lorsque nous devenons chrétiens, lorsque nous sommes baptisés « au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit », c’est notre qualité d’êtres humains, qui distingue entre les enfants des hommes et les enfants de Dieu. Cette qualité, ce caractère de la Foi qu’impriment sur nos âmes les sacrements du Baptême et de la Confirmation (ainsi que le sacrement de l’Ordre, bien entendu), ne procède pas de notre nature, mais de la grâce de Dieu ; elle est un don gratuit, sans aucun rapport avec nos mérites personnels. Cela indique simplement que nous avons été choisis par Dieu, selon Son bon plaisir, que nous Lui appartenons. Ce choix, cette « élection divine », cet appel de Dieu que nous sentons frémir dans le fond de nos entrailles, ne dépend aucunement de nos convictions personnelles, encore moins s’agit-il d’une décision de la raison. S’il y faut tout l’assentiment de notre raison et l’engagement de notre volonté, ce que cela exige de nous en premier lieu, c’est un ACTE DE FOI profond et sans cesse recommencé.

Être chrétien, ce n’est pas un privilège, c’est une grâce de Dieu. Elle s’est répandue dans nos cœurs le jour de notre Baptême et travaille en nous depuis cet instant, dans les profondeurs. Mais c’est aussi une grâce qui s’est répandue dans le monde entier, jusqu’aux extrémités de la terre, à partir du rayonnement de l’Empire chrétien d’Occident sur tout le second millénaire, à travers toutes les contradictions, toutes les tragédies et tous les drames de l’histoire ; en sorte que si nous ne pouvons pas dire objectivement que le monde est devenu chrétien (peut-être ne le deviendra-t-il jamais au sens où nous l’entendons), nous pouvons affirmer cependant qu’il n’est pas une nation, pas un peuple, et peut-être même pas une tribu sur la Terre, qui n’ait ne serait-ce qu’une fois entendu résonner le mystère du Nom de Jésus-Christ. Cette situation inédite – que l’on peut traduire de différentes manières, mais qui ne devient claire que dans la perspective de l’histoire de la Révélation chrétienne (qui ne s’est pas arrêtée à la mort du dernier Apôtre, mais qui au contraire commence dans les ruines de l’Empire romain) ‒ est celle qui inaugure, avec nous, l’aventure du IIIe millénaire. En ce sens – et c’est ce dont nous faisons l’expérience concrète – l’histoire de l’Église n’est pas une histoire passée, elle est plus que jamais une histoire présente, et l’histoire même de ce nouveau millénaire qui a commencé.

Nous n’avons pas le droit de nous comporter comme des hommes de l’Ancien Testament. Le commandement de Saint Paul à l’adresse des Juifs convertis à l’Évangile, est plus que jamais actuel pour les enfants de notre génération. Nous n’avons pas non plus le droit de nous comporter comme si nous étions encore ou que nous étions redevenus des païens, comme si le mystère de l’Église et de la Civilisation chrétienne n’avait pas existé, ou que nous pouvions en faire abstraction pour comprendre, non seulement le sens de l’histoire, mais plus encore les raisons de notre présence au monde, la cause finale de notre passage sur Terre. Nous ne le pouvons pas, ne serait-ce qu’en raison de l’histoire et des transformations réalisées jusque dans les structures les plus profondes (spirituelles) de la nature humaine, et qui sont irréversibles ; mais nous ne le pouvons pas non plus, et d’autant moins, que notre esprit et notre cœur ont été déjà au moins une fois bouleversés, renversés, mis à sac –, qu’en nous la conscience d’être chrétien, ce désir et cette exigence, s’est éveillée et qu’elle nous a déjà conduit en un certain point (que nous ne pourrions situer sur aucune carte) où notre compréhension affective des œuvres de la grâce ou de la présence de Dieu dans nos cœurs, dans les régions les plus secrètes et les plus élevées de notre âme, de cette vie nouvelle qui est notre vie cachée en Dieu, ne nous permet plus, en effet, de nous comporter comme des hommes de l’Ancien Testament, c’est-à-dire comme des âmes esclaves du péché et de la Loi, qui n’auraient pas encore été sauvées, rachetées, délivrées de leur esclavage et de leur aveuglement, et qui attendraient encore qu’un miracle se produise pour consentir à voir leur cœur basculer, s’ouvrir à la grâce et à l’infinie miséricorde de Dieu. C’est le don inestimable que Jésus nous a fait en mourant sur la Croix. Il nous faut de nombreux siècles pour en comprendre toute la portée, et si j’en juge par ce que je connais : nous sommes encore loin du compte.

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