Le dernier combat de l’Église

Le dernier combat de l’Église

« Avant l’avènement du Christ, l’Église doit passer par une épreuve finale qui ébranlera la foi de nombreux croyants. La persécution qui accompagne son pèlerinage sur la terre dévoilera le “mystère d’iniquité” sous la forme d’une imposture religieuse apportant aux hommes une solution apparente à leurs problèmes au prix de l’apostasie de la vérité. L’imposture religieuse suprême est celle de l’Anti-Christ, c’est-à-dire celle d’un pseudo-messianisme où l’homme se glorifie lui-même à la place de Dieu et de son Messie venu dans la chair.

« Cette imposture antichristique se dessine déjà dans le monde chaque fois que l’on prétend accomplir dans l’histoire l’espérance messianique qui ne peut s’achever qu’au-delà d’elle à travers le jugement eschatologique : même sous sa forme mitigée, l’Église a rejetée cette falsification du Royaume à venir sous le nom de millénarisme, surtout sous la forme politique d’un messianisme sécularisé, “intrinsèquement perverse” (Pie XI).

« L’Église n’entrera dans la gloire du Royaume qu’à travers cette ultime Pâque où elle suivra son Seigneur dans sa mort et sa Résurrection. Le Royaume ne s’accomplira donc pas par un triomphe historique de l’Église selon un progrès ascendant mais par une victoire de Dieu sur le déchaînement ultime du mal qui fera descendre du Ciel son Épouse. Le triomphe de Dieu sur la révolte du mal prendra la forme du Jugement dernier après l’ultime ébranlement cosmique de ce monde qui passe. »

Catéchisme de l’Église catholique, n° 675-677.

Préambule

À la Très Sainte Vierge Marie, la Bienheureuse Mère de Dieu, qui trône au-dessus des Anges, nous confions notre vie, notre âme et notre cœur, afin d’apprendre d’elle le grand OUI de notre prière.

Nous avons une mission, n’est-ce pas ? L’Église est en situation de crise, peut-être comme jamais dans son histoire, les forces de l’enfer sont déchaînées contre elle, jusqu’en son sein. Mais nous savons, par notre Seigneur Jésus Christ, qu’elles ne prévaudront pas contre Elle. Est-ce qu’il n’est pas insensé, aujourd’hui, de chercher son refuge dans l’Église, de mettre toute notre confiance en elle, dans l’état où elle se trouve ? « Mais vous êtes des prophètes ! » s’était écrié avec une joie sincère un frère de Saint Jean, dont nous avions croisé le chemin au sanctuaire de Notre Dame des Grâces, à Cotignac. C’était il y a tout juste six mois, cela semble déjà une vie entière, comme souvent lorsque c’est la main de Dieu qui nous soulève pour nous faire franchir des abîmes que nous n’aurions jamais pu franchir si nous n’avions pas la foi que c’est Dieu qui nous soulève. Nous avons fait un peu de chemin depuis. À la suite de Saint François de Sales, nous parcourons les églises, les monastères, les sanctuaires, à la rencontre de notre Sainte Mère l’Église, là où nous nous trouvons, là où elle nous envoie. Elle ne nous envoie pas toujours par des voies officielles ou ordinaires, et c’est une marque spécifique de l’Église, que de fleurir là où on ne l’attend pas – et toujours en premier lieu dans le cœur des hommes. Car l’Église n’est pas une communauté humaine ordinaire ; elle est d’abord et avant tout le mystère sacré de l’action de Dieu dans l’histoire. Et notre participation à l’Église est participation à ce mystère. C’est notre commune participation à ce mystère unique de Dieu incarné par l’Église tout au long de l’histoire, qui fait de nous une communauté humaine.

I

Le Mystère d’Iniquité

Dès à présent, le mystère de l’iniquité est à l’œuvre, nous dit Saint Paul. Et cette force va déferler sur le monde. Notre époque est peut-être celle-là, celle où le mystère de l’iniquité, au moment même où il était devenu une chimère aux yeux du monde, se dévoile avec le plus de force et de vérité, nous pourrions presque dire : dans toute sa pureté. Seuls, peut-être, les temps qui précèdent le Déluge pourraient être comparés aux nôtres en matière de péchés. Mais comme nous n’en avons plus guère de traces, nous ne pouvons pas comparer. Nous serions donc parvenus en ce temps où le kat-echon, la force mystérieuse qui retient dans l’histoire les forces tout aussi mystérieuses du mal – pour un temps fixé – est levée. Cette « force » était comme une barrière – celle que l’on retrouve dans certaines prophéties islamiques – derrière laquelle se massent depuis des siècles tous les rois damnés de la Terre que l’Agneau fit tomber de leurs trônes, les armées sans nombre de Gog et Magog, toutes les puissances de l’enfer rassemblées dans l’ombre de l’Antéchrist.

Si nous sommes bien de ce temps – et nous n’y serions pas depuis ce matin, mais déjà depuis quelques siècles ! ‒ cela signifie alors que les mille ans de royauté du Christ dans l’histoire sont accomplis, et donc, que nous allons assister, stupéfaits, à la domination mondiale réalisée du royaume de Satan, qui doit s’achever dans le dernier assaut des forces infernales contre le trône de Dieu. Nous sommes de ce temps, mais ce temps ne se calcule pas sur nos montres ni sur nos calendriers, quant à nos superordinateurs, ils ne prennent pas encore en charge ce genre de paramètres.

Cette pensée rejoint celle de René Girard – bien que la force qui retient ne soit pas identifiée au même « système » ‒ : Ce qui retient (qui tenet) ne retient plus, toute barrière est levée, la violence humaine peut se déchaîner hors de toute limite.

Mais il faut faire preuve, dans la pensée eschatologique, d’un esprit de finesse, de sagesse, qui ne peut être que le don de l’Esprit Saint et le fruit de la prière. Il ne faut pas s’empresser de conclure. Au contraire, le Christ nous enseigne-t-il à nous garder de ceux qui disent : « Nous y sommes ! » ou « Le voilà ! » Ne soyons pas de ceux-là, mais sachons – ô mes frères, je vous en conjure ! ‒ sachons reconnaître les signes, et nous laisser instruire.

En réalité, nous voyons bien qu’il n’y a bientôt plus rien qui ne tient, ou que ça ne tient pas à grand-chose. Et la question se pose massivement : À quoi ça tient, tout ça, et combien de temps ça va tenir avant que ça ne craque de tous les côtés et que la terre finisse par nous vomir pour de bon ? L’idée de fin du monde n’a plus guère d’accents ni de chants d’espérance aujourd’hui, mais tout le monde veut bien y croire. Ce qu’il y a de réellement inquiétant, c’est que ça tienne, et que ça puisse encore tenir comme ça longtemps, sans qu’il y ait un effondrement brutal du « système », mais que la situation pourrisse lentement et nous emporte, comme disait le chanteur, sans que rien ne bouge.

Il y a quelque chose qui tient, ou qui semble tenir. Qui se tient dans les langueurs d’un affrontement qui se prépare, entre deux armées qui se discernent. On perçoit partout cette ligne de tension magnifique, mais elle n’est pas encore parfaitement dévoilée. Ah ! soupirons-nous comme soupirait le Christ sur les ruines de Jérusalem, que le enfants de la Lumières ne sont-ils aussi préparés à l’affrontement que les enfants des ténèbres ! Non pas en aiguisant des armes de fer ou en négociant des fusils, mais en priant et en s’ouvrant à la miséricorde de Dieu.

Que le Tout-Puissant nous vienne en aide. Amen.

Nous sommes donc dans un temps de préparation, nous le sentons. De nouveau, les fruits sont mûrs pour une nouvelle récolte ; tous les signes annoncent une grande moisson.

Il y avait des motifs gravés comme des signes sur les murs de nos villes, les démons semblaient figés dans une sorte de sommeil mystique, en attendant que la puissance qui les retient là soit estompée. On trouve aussi parfois le fameux « carré magique », à l’intérieur duquel apparaît clairement et doublement, sous la forme d’une croix, le mot TENET.

Nous devons avoir la conscience prête à nous laisser saisir par la profondeur et le péril que représente, pour nous, pour la vie de nos âmes, ce mystère. Quelles sont donc les forces qui gouvernent réellement le monde des hommes, la Cité de la terre ? ‒ Telle est la question terrible que se pose le cœur ingénu qui interroge pour la première fois ces inscriptions sulfureuses. Il y avait en Europe, même après le Moyen-Âge, une conscience aiguë de la nature eschatologique du temps et de l’histoire : à savoir, non seulement que le monde n’est pas éternel, qu’il s’achemine vers sa fin, de même que le temps n’est pas éternel et qu’il s’achemine vers sa fin, laquelle fin, paradoxalement, se trouve être l’Éternité ; mais aussi que toute l’histoire du monde peut se résumer et se réduire à celle d’un combat, d’une lutte à mort, d’une guerre d’extermination, entre ce qu’il est convenu d’appeler « les forces de la Lumière » et « les forces des ténèbres ». Une guerre, dont la réalité fait toute l’essence de la vie spirituelle, mais qui est en même temps – et cela semble s’apaiser en le disant de cette manière – une épreuve de discernement. Quand on parle de « guerre », de « combat », on pense à toutes les guerres qui sont au dehors et qui déchirent l’humanité ; et c’est vrai que toutes ces formes de guerres (qui sont historiquement sans solution désormais) sont comme une manifestation de cette grande guerre fondamentale, originaire même. Mais quand on parle de « discernement », cela nous ramène inévitablement à la vie intérieure de notre âme, à quelque chose de plus accessible, et certainement de plus vrai, au point de vue du sens profond de la Révélation.

C’est ce chemin qu’il faut pratiquer, lorsque nous lisons et nous efforçons de comprendre des textes aussi énigmatiques en apparence que l’Apocalypse, mais c’est aussi vrai pour les autres livres prophétiques, et pour les Saintes Écritures en général. Sans quoi nous prenons le risque de devenir fous. Mais non pas fous à la manière de Dieu. Il nous faut éviter deux écueils : le premier, c’est de ne donner à ces textes qu’une interprétation symbolique ou spirituelle, et de laisser de côté, comme impure ou impropre, toute perspective d’interprétation historique ou théologico-politique ; car la Révélation, c’est l’action de Dieu dans le monde, dans le temps et dans l’histoire. L’autre écueil qu’il nous faut éviter, c’est de n’avoir qu’une perspective d’interprétation historique, et en dernière instance matérialiste, et de reléguer au rebut toutes les autres, en oubliant que nos royaumes humains n’ont guère d’être au regard de Dieu et qu’il faut être sacrément sûr de son sens historique pour prétendre le contraire ; en oubliant également, et presque logiquement, que la Révélation est Révélation de l’Esprit de Dieu et de la filiation divine ou spirituelle de la créature avec son Créateur. L’Incarnation est précisément le point de contact entre ces deux réalités, ou ces deux dimensions de la réalité, apparemment antagonistes. Et comme l’action de Dieu dans l’histoire ne s’est pas arrêtée à la vie terrestre de Notre-Seigneur Jésus Christ, mais qu’elle s’est continuée jusqu’à aujourd’hui et qu’elle se continuera jusqu’à la fin des temps, nous pouvons voir, avec le temps, que les grands ensembles historiques et spirituels que nous croyions connaître et avoir, une fois pour toute et scientifiquement, déterminés, prennent peu à peu la forme et la saveur même des visions de Saint Jean.

II

Synodalité

À quoi l’Esprit Saint nous prépare ? Voilà la question que nous devons nous poser, voilà le seul problème. Pour nous, personnellement, qui avons été consacrés en tant que « soldats du Christ », mais aussi dans l’ordre global, universel. J’entendais un frère franciscain d’origine australienne, nous dire qu’au XXIe siècle, l’Occident en général et l’Europe en particulier, étaient devenues des « terres de mission ». Pour dire les choses grossièrement et comme elles me viennent : tout se passe comme si, à travers le Concile du Vatican II, qui est devenu en un demi-siècle la pierre d’achoppement de la Tradition catholique, l’Esprit avait annoncé ou anticipé une mue nécessaire, pour ne pas dire une mutation, que l’Église est en train de vivre aujourd’hui, et qui représente pour elle un passage de tous les dangers. À la fin, comme à la fin de l’histoire d’Israël, lorsque toutes les espérances messianistes seront passées par le feu, il ne restera sur la terre qu’un petit nombre des enfants du peuple de Dieu, qui se retrancheront dans les montagnes pour adorer Dieu en Esprit et en Vérité. Ils seront une poignée à maintenir vivant le fil de la Tradition, le don de l’Esprit Saint, en perpétuant de jour en jour le sacrifice de la Messe. Tous les peuples qui ont cessé de maintenir vivante, par la pratique assidue de ses rites, la tradition de leurs ancêtres – qui n’est pas seulement au fondement, mais qui est le seul fondement de leur être, autrement dit de leur substance – ont péri. Je crois que cela se vérifie pour la plupart des sociétés primitives, mais aussi pour les sociétés prétendument plus évoluées. « Nous avons besoin de rites », entendons-nous dire. Même la République, que ce soit dans ses spectacles populaires ou dans ses arcanes maçonniques, est structurée par une série de rites, eux-même adossés à un corpus mythologique spécifique, que l’on nomme l’idéologie. Mais ce ne sont pas n’importe quels rites qui peuvent structurer une société, encore moins développer entre les hommes des liens de communion. La République, en dépit de ses formidables prétentions au progrès et à l’innovation, n’a rien inventé, elle n’a rien fondé non plus, elle s’est assise sur un édifice constitué, pour le détruire et pour transférer toute puissance, non pas au peuple, mais aux pires racailles issues du peuple des démons (car les démon aussi sont un peuple), en puisant son fonds mythique et spirituel dans les cabales les plus ésotériques de l’Antiquité. En sorte que la République est fondée comme une religion antichrétienne, ou comme une anti-religion. Ce que nous pouvons tenir pour certain et pour tragique en même temps, c’est que nous ne retournerons pas en arrière, nous ne refonderons pas plus l’Empire chrétien que nous ne restaurerons l’Église du Christ dans la splendeur de sa royauté terrestre, telles que ces deux puissances historiques ont pu exister avant la Révolution française. Il y a quelque chose qui n’est pas « cyclique » dans cette histoire, mais qui progresse inéluctablement vers sa fin. Ce n’est pas parce qu’il y a eu Vatican II que l’Église change de forme, au point qu’elle semble parfois se renier, c’est parce que nous sommes en pleine mutation et qu’il fallait à la fois protéger la Sainte Église, en exil sur la terre, et en même temps la préparer à traverser cette grande crise – qui n’est pas la Parousie – au terme de laquelle nul ne peut dire à quoi elle ressemblera.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce qui subsistera à la fin, lorsque nous serons parvenus au terme de cette longue et douloureuse histoire, ce ne sera pas l’Église sous la forme que nous lui connaissons actuellement, mais dans son essence la plus secrète et la plus mystérieuse, dans la Saint Eucharistie. Ce ne seront pas nos églises, nos cathédrales, nos sanctuaires – car il n’en restera pas pierre sur pierre, mais ce sera la dernière hostie de pain consacrée par le dernier cœur du dernier prêtre de l’humanité. Notre frère François nous le rappelle souvent, notre monde est à l’agonie, et l’Église souffre autant que ce monde, elle souffre avec lui et elle souffre pour lui. Elle n’est plus au centre de ce monde, qu’elle ne comprend plus et qui ne la comprend plus non plus, comme sa souveraine, elle ne sera certainement plus dans l’histoire la puissance qu’elle était à la fin du Moyen Âge. Le profond mouvement que nous observons – et qui inquiète beaucoup en France – n’est pas à concevoir comme une réaction de l’Église face à la pression du monde et de l’histoire, mais comme un travail spécifique de l’Esprit Saint, qui est seul garant de son l’infaillibilité et seul capable de rendre caduque certaines formes anciennes qui pouvaient avoir des apparences d’éternité : nous pouvons penser à nos pauvres paroisses, où la transmission de la foi se fait comme elle peut, par de maigres flambeaux, qui sont bousculées par les flux de plus en plus rapides d’un monde qui court bille en tête vers sa catastrophe ; ou même l’entité théologico-politique du Vatican, qui semble dans un état de division tendanciellement schismatique, peut-être sans précédent depuis la Réforme, en un temps où l’Église était encore jeune et vigoureuse et pouvait se défendre. Nous devrions nous attendre à ce que l’Iniquité en personne puisse s’asseoir le Trône de Pierre, que le Temple Saint soit profané par l’Abomination des abominations. Les Chrétiens devraient se préparer à vivre devoir cela, de nouveau, à ne plus pouvoir entrer dans les églises, ne plus pouvoir célébrer la Messe, à ne plus pouvoir même prier, comme ce fut le cas il n’y a pas si longtemps… sous la Terreur. Certains estiment que nous y sommes déjà. Que les papes qui se succèdent sur le trône de Pierre, depuis Pie XII, ne sont plus réellement des papes, que l’Église n’est plus vraiment l’Église, ou qu’elle a migré ailleurs, dans des formes de résistances traditionnelles assez détonantes en ce XXIe siècle bien mordu. Formes dites « traditionnelles » qui sont, paradoxalement, beaucoup plus des fruits de ces mutations internes (et donc en un sens du Concile du Vatican II) que des résistances de la Tradition – et pour l’existence desquelles nous pouvons rendre grâce à Dieu, car elles contribuent pour beaucoup à la transmission de la Sainte Doctrine et de la Sainte Tradition, afin que l’homme de ce siècle, vieil homme fatigué, ne se perde pas dans ses renoncements. L’Église est sanctifiée à travers ses combat. Sa grandeur, sa noblesse, son rayonnement aux yeux de Dieu, ne dépendent pas nos inventions humaines pour la restaurer ou pour la faire briller, mais de ce que nous laissons l’Esprit Saint la guider et le Christ en être le Chef. Je crois que c’est ce qu’il y a de plus difficile. Cela demande de ne pas s’agiter, de se mettre réellement en prière et de demander l’aide de Dieu. Les murs de pierres ne peuvent pas le faire. Quant à nos papes, nos évêques, nos prêtres, nos religieux, ils n’ont pas été mis à part d’entre les hommes pour porter nos croix à notre place, mais pour offrir continuellement, au nom de Jésus Christ, le sacrifice qui plaît à Dieu, afin que ne soit jamais rompu le lien entre l’Église du Ciel et l’Église de la Terre, jusqu’à ce que les siècles soient consommés. À la limite, si j’ose dire, l’Église ne devrait pas avoir d’autre « pastorale ».

L’essentiel de la « Mission » de l’Église ‒ la part qui revient aux hommes – est assuré continuellement, à des degrés divers, par la coopération de tous les membres de ce Corps magnifique. C’est ce qu’enseigne merveilleusement Saint Paul dans ses épîtres, et c’est dans cette brèche dangereuse que s’engage la pastorale issue du Concile du Vatican II. On pourrait dire que chacun est ramené à son rang de « serviteur inutile », en ce point où nous nous regardons, hommes pécheurs, et où nous commençons à nous poser les seules questions qui comptent. Il faut parfois beaucoup de temps pour parvenir à ce point. Prêtres et fidèles, distribués au sein d’un même Sacerdoce, qui est le Sacerdoce unique du Christ, seul et unique Grand Prêtre pour l’Éternité, où les hiérarchies tendent à se confondre et où le sens du Sacrement tend, non pas à se réinventer, mais à emprunter – et à trouver parfois – les chemins d’une nouvelle profondeur et d’une nouvelle clarté. C’est peut-être dans ce sens qu’il faut comprendre « les intentions » du Saint Esprit. Si l’on semble en demander moins aux pasteurs, les décharger d’une part de leur apostolat, c’est que, d’un autre côté, il en est demandé plus aux fidèles, qui, étant moins nombreux, sont appelés à prendre chacun un peu plus que sa part. Mais cela n’implique pas une moindre exigence de la part des hommes qui sont appelés à consacrer leur vie au service de Dieu. Au contraire, cela implique-t-il, peut-être, une sélection plus rigoureuse, un certain « écrémage ». De même pour nous, fidèles qui rejoignons l’Église, et plus encore, je crois, pour ceux qui s’en reviennent après des années de résistance à l’extérieur. Nous ne sommes pas encore arrivés au Ciel, mes amis, il nous semble souvent en être fort éloignés, mais, alors même que tout semblerait nous précipiter en enfer, nous cheminons ensemble vers le Ciel. Et plus que cheminer, nous communions au Corps et au Sang du Seigneur comme si nous participions déjà aux louanges du Ciel.

Le peuple de Dieu demeure une diaspora, une nation sainte dispersée à travers toutes les nations de la terre, en exil dans ce monde et dans cette vie. C’est un peuple de passage. Plus exactement, c’est le peuple du passage. En cela, plus un peuple de prêtres qu’un peuple de rois. Sa mission n’est pas d’établir sa tente sur la terre pour y demeurer indéfiniment. L’Église sait – c’est sa destination – qu’elle sera consommée dans la gloire. À ce moment là, il n’y aura peut-être plus qu’un seul homme sur la terre pour offrir l’hostie du Seigneur, pour renouveler le sacrifice pour le péché du monde. Un dernier saint, un dernier serviteur souffrant. Mais à cette heure-là, au Ciel, le nombre des Saints et des Martyres sera au complet. Alors tous les enfants de Dieu seront sauvés, aucun ne sera perdu, excepté le fils de perdition. Alors, l’ancienne terre et l’ancien ciel seront consumés, et une Terre nouvelle et un Ciel nouveau descendront du Ciel, un Royaume où la mort ne sera plus.

Été 2023

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