Le concept de dictature

Le concept de dictature

Conception purement technique de la théorie de la dictature chez Machiavel

« … le contenu de l’activité du dictateur consiste à atteindre un certain résultat déterminé. […] Étant donné que l’on doit atteindre un résultat concret, le dictateur doit intervenir dans le déroulement causal des événements de manière directe par des moyens concrets. Il agit ; il est, pour anticiper la définition, un commissaire d’action ; il est l’exécutif, contrairement à la simple délibération ou à la sentence du juge, au deliberare et au consultare. Lorsqu’il s’agit véritablement du cas extrême, il ne peut donc pas observer de règles générales. Et cela parce que si, en période normale, le moyen concret pour parvenir à un résultat concret – par exemple ce que la police est autorisée à faire pour assurer la sécurité publique – peut être calculé avec une certaine régularité, en cas d’urgence, on peut uniquement dire que le dictateur est autorisé à faire tout ce qui est nécessaire en fonction de la situation objective. Ce ne sont donc plus des considérations juridiques qui importent ici, mais uniquement le moyen adéquat qui, dans un cas concret, amène un résultat concret. Là encore, la manière d’agir peut être correcte ou erronée, mais cette appréciation se réfère seulement à la question de savoir si les mesures sont correctes au sens technique objectif du terme, c’est-à-dire si elles sont opportunes. Les considération portant sur les droits qui font opposition à ces mesures, le besoin du consentement d’un tiers, faute duquel celui-ci représente un obstacle, les droits acquis, les différentes démarches administratives à effectuer ou les voies de recours peuvent “aller à l’encontre” (sachwidrig) des moyens adéquats à la situation et donc se révéler nuisibles et erronés du point de vue technique objectif. C’est la raison pour laquelle, dans la dictature, la fin, qui consiste à réaliser une situation concrète, domine exclusivement, libérée de toutes les entraves juridiques, et uniquement déterminée par la nécessité. Or, là où, par principe, existe un intérêt purement technique pour les problèmes relatifs à l’État et à la politique, les considérations juridiques peuvent également s’avérer inopportunes et aller à l’encontre des moyens adéquats à la situation. La conception absolument technique de l’État reste hermétique à ce qui fait la valeur propre, absolue du droit, indépendante de toute finalité. Le droit, pour elle, ne présente aucun intérêt, à la différence de la finalité du fonctionnement de l’État, c’est-à-dire de l’exécutif, qui ne doit être précédé d’aucune norme au sens juridique. Outre la technicité pure et le rationalisme pur, se dégage ici le troisième aspect de la dictature : à l’intérieur de l’exécutif, les organes d’exécution doivent inconditionnellement ne se soucier que du déroulement technique sans friction. Ce n’est pas seulement à l’intérieur de l’exécutif, au sens éminent du terme, à savoir l’armée, qu’il faut obéir, sinon aveuglément du moins immédiatement, mais c’est aussi le cas de l’exécution de la décision d’un juge, il n’est pas possible de faire dépendre la décision de l’approbation du fonctionnaire chargé de l’exécution, au sens où celui-ci aurait le droit de vérifier la justesse sur le fond d’un jugement ayant l’autorité de la chose jugée. Mais même en dehors de l’activité des autorités gouvernementales et administratives, il est impossible qu’aucune organisation fonctionne bien si les personnes chargées de l’exécution exigent, pour des motifs quelconques, une collaboration ou un contrôle indépendant qui obéissent à un autre point de vue que celui du fonctionnement technique. Le service de transport devient impossible si celui qui doit effectuer le transport prend un autre intérêt aux choses transportées que le fait précisément qu’elles doivent être transportées. Si un employé des postes devait contrôler le contenu des lettre à expédier, cela signifierait que l’organisation technique des postes serait utilisée à des fins étrangères à cette organisation ; ce qui contredirait nécessairement la perfection technique de cette organisation. En d’autres termes, au sein de l’exécutif, une fois qu’en sont données les conditions de déroulement, il n’y a plus d’entente, d’accord, avec l’organe exécutif, ni de consultation de celui-ci.”

Carl Schmitt, La Dictature (1921), trad. M. Köller et D. Séglard, Paris, Éditions du Seuil, 2000, p. 74-76.

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