Introduction à la noétique

Introduction à la noétique

« Si vous êtes déréglés, inspirez-vous des représentations de votre vraie nature. »

Évangile de Marie.

I.

Le manque de foi, c’est l’esprit qui tergiverse sans cesse avec les conditions, mesure les angles à chaque perspective, cherchant le chemin le plus court entre un point A qu’il croit connaître et un point B qu’il croit pouvoir déterminer. L’esprit suscite pour lui-même – ou contre lui-même – des farandoles de doutes, des failles d’indécision, où la volonté se trouve mise en défaut et se sent vaciller. Il y aura toujours des tas de raisons, dans le reflux du Dieu, que l’esprit pourra opposer comme obstacles à la révélation – de même qu’il n’existera jamais de raison de croire sur laquelle il pourrait s’appuyer : aucune autre raison que les fruits de la pratique elle-même. Nos épreuves sont suscitées par nos idées fausses, elles se nourrissent de nos conflits et de nos adversités. C’est nous-mêmes qui les engendrons, c’est nous-mêmes qui les éprouvons. Et nous n’éprouvons pas autre chose que notre capacité à résister – à l’Amour de Dieu.

Nous commençons à comprendre…

Voici qu’il vous semble être arrivé au dernier sommet, avoir levé le dernier obstacle sur votre route, tourné le dos à la dernière chimère – et soudain, tout semble se renverser. Ce qui semblait assuré hier ne l’est plus aujourd’hui, la volonté d’airain dont vous contempliez l’envol semble s’évaporer ainsi qu’un nuage de pluie. Vous avez l’impression de dévaler la pente aride et pierreuse que vous gravissiez à bout de force, la soutane en lambeau, les membres écartelés, parce qu’une minuscule question se sera glissé sous la semelle de votre chaussure ; comme si vos guides vous rejetaient tout au bas de la montagne en vous disant : « Maintenant que tu es parvenu jusqu’ici, si tu as vraiment la foi, recommence. » Et les anges semblent moqueur – ils savent rires de nos croyance et de nos illusions.

Tout se passe comme si l’esprit, par ignorance, voulait soumettre l’âme à l’épreuve de sa véracité. Il s’abat sur elle comme un foudre de guerre, prêt à lui faire subir mille tortures, opposant sans cesse à sa lumière la lourde panoplie de ses terreurs. C’est lui-même qu’il éprouve en vérité, sa propre faculté à ne pas douter, à ne pas susciter pour lui-même obstacles et souffrances, à n’en pas s’en remettre à aux plus hauts commandements (de l’âme ou de Dieu). Car l’esprit seul ignore ces choses-là, lui seul se place dans l’incapacité de répondre aux questions ou problèmes qu’il se pose, de se disposer simplement à obéir. Quant à l’âme, elle ne doute pas de ce qu’elle est puisqu’elle l’est absolument. Elle ne demande jamais à l’esprit de lui démontrer quoique ce soit, mais seulement de la découvrir, elle qui comme la source et le chemin vers la source.

« Moi, je t’ai vu, toi, tu ne m’as pas vue. Tu ne m’as pas reconnue ; j’étais avec toi comme un vêtement et tu ne m’as pas sentie… Pourquoi me juges-tu ? Moi, je ne t’ai pas jugé. On m’a dominée, moi je n’ai pas dominé ; on ne m’a pas reconnue, mais moi, j’ai reconnu que tout ce qui est composé sera décomposé sur la terre comme au ciel. »

Évangile de Marie.

II.

Les enseignements sont toujours simples.

Il s’agit d’accueillir cette expérience comme un apprentissage, de suivre les intuitions par lesquelles nous sommes conduits. Il s’agit d’un regard, d’une pensée, de la saveur de notre temps de présence sur la terre. C’est moins une histoire de vérité que de confiance ou de foi. Car nos intuitions, le lieu comme la forme dont elles disposent pour se produire ou pour se faire comprendre, ce sont d’abord et avant tout des images. Ces images disent sans doute quelque chose de vrai sur la relation selon laquelle elles se produisent, mais elles ne disent rien de la réalité qui se manifeste à travers elles. Ce n’est pas leur fonction : en tant qu’images, représentations mentales, allégories, ces intuitions sont des guides, que nous pouvons suivre ou ne pas suivre, pour nous orienter dans la matière et dans l’esprit.

Nos représentations ou fabrications mentales n’ont pas même valeur, en cela qu’elles ne nous orientent ni ne nous disposent de la même manière, qu’elles ne nous conduisent pas au même endroit. Certaines ont pour origine ou pour destination les ténèbres augmentées de nos futurs dangereux, d’autres ont pour provenance et pour destination des régions plus lumineuses… Ce n’est pas une valeur de vérité qui fait la différence : une représentation n’est pas plus vraie parce qu’elle m’orienterait en des destinations bienheureuses, elle n’est pas plus fausse parce qu’elle m’orienterait en des destinations malheureuses. Nous parlerons plus exactement de l’efficacité de telle représentation, de telle méthode ou doctrine, suivant le but visé.

Pour que les représentations d’une intuition fondamentale se déploient selon leur fonction de médiations ou de guides spirituels, il faut qu’elles puissent disposer dans la conscience – mais pas seulement dans la conscience : au cœur de la pratique, dans le mouvement le plus rudimentaire de la matérialité – d’un espace libre, autrement d’un lieu où elle puisse se produire sans défense, sans référence à quelque chose de connu.

Il arrive parfois qu’un message se glisse entre les lignes d’un livre, mais ce ne sont pas toujours les livres qu’on croit : un bon roman peut tenir lieu d’évangile, de bonne nouvelle ou de médiation appropriée. Que ceci soit dit. Mais les réponses aux questions que nous nous posons ne résident nulle part hors de nous. Elles sont le fruit de nos cheminements intimes, qui commencent par se dire dans la négation ; elles sont un apprentissage, une ignorance, une inconnue. La raison première et dernière de notre expérience.

La réalité est ce qu’elle est et vous êtes libres du jeu de vos images et de vos orientations. L’esprit vous propose une pensée, une image, dispose certains signes sur votre trajectoire : c’est à vous qu’il appartient ensuite de les suivre ou de ne pas les suivre, mais vous ne pouvez pas décider de la valeur d’une proposition avant que d’en avoir réalisé l’expérience. « Si c’est sur cette voie que tu veux t’engager, fils – semble nous dire l’esprit – voici le chemin sur lequel il ta faudra marcher. » Mais du chemin et de la destination, vous ne percevrez d’abord qu’une idée. Le plus difficile, la plupart du temps, vous sera dissimulé. Cette idée ne se manifeste pas pour que vous puissiez édifier dessus votre théorème ou votre fonds de commerce, mais pour susciter en vous la curiosité pour les voiles et pour la vérité qui semble se cacher derrière, le courage et la confiance qu’il faut pour entreprendre le chemin qui vous attend.

La question n’est pas celle de la destination de nos utopies ou des futurs que nous voudrions atteindre ou éviter, ni celle des conditions matérielles qu’il nous faudrait abolir ou réaliser – les conditions sont ce qu’elles sont, elles ne sont jamais absolues, elles ne sont jamais immuables. La question est celle de notre orientation. Ni une subjective représentation, ni un objectif usage du monde, mais une relation de confiance, ontologique ou primordiale.

Vous faites ce que vous voulez.

Vous nourrissez, pour ce monde ou pour un autre, les ombres qui vous semblent les plus désirables ou les moins dangereuses. Sans jamais savoir à quoi ces ombres font référence dans la réalité. Vous vous fiez à leur danse, à ce qu’on en dit, à celui qui parle le plus fort ou qui semble parler le plus vrai. Vous vous orientez comme des aveugles qui de la réalité n’avez jamais pressentis que les ténèbres, les siècles d’incertitude qu’il vous restait encore à traverser, sous la terreur angoissée d’un pressentiment inquiet, qui se nourrit au cœur le plus secret de votre ignorance.

Vraiment, vous faite ce que vous voulez, vous nourrissez les ombres qui vous conviennent le mieux, celles qui vous semblent les plus belles ou les plus fiables… C’est en cela que vous êtes libres ou créateurs.

Et vous allez là où les ombres vous conduisent.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *