De traditione catholica

De traditione catholica

Nous n’allons plus dire, comme nous disions hier encore, que nous devons, pour comprendre notre histoire, nous couler et ancrer notre conscience dans un temps long, qui n’est plus celui de l’histoire à proprement parler, mais un temps que nous disons « mythologique » ; et que, pour savourer ce temps, nul n’est besoin de recourir à des sagesses étrangères ou à des fables exotiques, mais qu’il nous suffit d’ouvrir notre livre, celui que notre tradition nous a légué en héritage, et de commencer à le lire. Car ce n’est pas seulement par hasard si ce livre était devenu notre livre (alors que nous lui étions, à l’origine, parfaitement étrangers) ; et ce n’est pas non plus seulement de la corruption intrinsèque au peuple d’Occident, si cette tradition, cette sagesse ou cette spiritualité, est si différente de toute les autres.

C’était un premier pas. Il fallait un premier pas. C’était une question d’ancrage, dans l’ordre humain, anthropologique, historique et social, de notre réalité présente, dans le milieu concret d’une expérience déterminée : puisque notre tradition était celle-là, il n’était pas nécessaire que nous allions puiser dans des ressources étrangères ; d’autant que la tendance de notre siècle était d’aller chercher des monceaux de sagesse et de spiritualité un peu partout dans le temps et dans l’espace (et même chez de prétendues civilisations extraterrestres), sauf là où nous sommes, dans les trésors de notre tradition. C’était une idée, très simple et merveilleusement exprimée par Saint François de Sales, de croître et d’éclore au lieu même où Dieu a voulu nous planter, de nous nourrir de la terre, de l’herbe et des fruits qu’il a bien voulu nous donner.

Mais il fallait avancer d’un pas de plus. Tout en laissant de côté la question de savoir si notre tradition était vraie ou si elle était plus vraie que les autres, la vérité que nous pouvions admettre, c’était que, quelle que soit la valeur intrinsèque de notre tradition ou des autres traditions, notre tradition était celle-là, et que c’était du socle de notre tradition – qui n’était pas « la nôtre » comme notre ouvrage ou comme notre propriété, mais comme notre héritage et notre responsabilité – que nous étions invités à nous élancer dans notre quête de la vérité qui serait comme notre pain et notre salut. Plus encore. Notre compréhension de l’histoire, de ce que nous sommes et ce vers quoi nous allons, ne peut se faire que dans cet ordre-là : notre histoire est intégralement contenue entre les lignes de la Bible, du Nouveau comme de l’Ancien Testament, et ne peut s’éclairer convenablement qu’à la lumière de la Révélation chrétienne.

Il en est ainsi, principalement parce que nous sommes venus au monde dans ces conditions qui sont les nôtres aujourd’hui, là où nous sommes ; si nous avions été Indiens, ou Chinois, ou si nous étions né Aborigènes en Australie, nous serions en butte à une tout autre tradition que notre sainte et vénérable tradition catholique, et alors notre discours sur le monde, sur la destination de l’homme et sur Dieu, serait d’une tout autre nature. Je ne jugerais pas la façon dont Dieu pourrait parler ou se manifester au sein des autres peuples ou des autres traditions ; il reste possible que Dieu n’ait pas choisi un seul peuple, à l’exclusion de tous les autres, pour lui parler et lui faire don de ses grâces, mais que dans tous les peuples, toutes les cultures, toutes les nations, se rencontrent des enfants de Dieu en éveil, et que tous ces enfants, bien qu’ils l’expriment et le manifestent, sur la base de ce qu’ils sont, avec des colorations et des motifs différents, forment ensemble « le peuple des enfants de Dieu », un peuple de rois, de prêtres et de prophètes, une nation sainte. Le peuple de Dieu, autrement dit le Corps mystique de Notre Seigneur Jésus Christ, c’est-à-dire l’Église.

Le peuple de Dieu n’est pas un peuple historique, mais un peuple ontologique, c’est-à-dire que sa constitution précède toute formation particulière d’un peuple particulier, qu’elle en est la source vive. Ce qui est vrai du peuple chrétien, qui n’est pas d’une nation ou d’une race particulière, mais de la race de Dieu, l’était également du peuple Hébreux, dont le sacerdoce royal ne s’accomplit pas dans la construction historique d’un État d’Israël comme État dirigeant de l’ordre mondial post-américain, mais dans l’avènement de l’Église de Jésus-Christ. C’est dans ce sens que l’histoire du peuple Hébreux, telle qu’elle fut conservée, transmise et éclairée par l’histoire et la tradition chrétienne, se propose à nous comme un miroir de notre propre histoire, en tant qu’histoire du peuple de Dieu.

C’est encore franchir un autre pas que de reconnaître que, s’il y a quelque chose de vrai dans notre tradition, dans notre religion, cela ne vient pas des hommes, encore moins de quelque contingence historique, heureuse mais fortuite ; mais cela vient de ce que cette tradition est donnée par Dieu et ordonnée au dessein de sa volonté, que cette religion est fondée par Dieu, instituée sacramentellement par Lui, en la Personne de son Fils, notamment par le sacrifice de la dernière Cène, mais tout au long des deux ou trois années que Jésus passa en compagnie des Apôtres. Encore une fois, nous pouvons laisser de côté la question de savoir s’il se peut que Dieu ait fondé d’autres religions, institué d’autres cultes ou qu’il se soit révélé à d’autres peuples (nous pouvons ici penser à la très mystérieuse religion des Hindous, qui s’achève, se renouvelle et s’accomplit à travers le Bouddha, ou à la très problématique, voire polémique, religion de l’Islam – qui se revendique comme puînée des deux autres religions du Livre et de la foi abrahamique, et aussi comme leur accomplissement). Pour le moment, je ne suis pas capable de démontrer – et le peut-on, autrement que par les œuvres – que notre tradition, notre religion, en son cœur le plus substantiel, est la seule vraie Tradition ou la seule vraie Religion, qui soit faite pour l’homme et pour son salut, qui soit conforme à sa nature et à sa destination. Et ce n’est pas parce que c’est « la nôtre » : nous avons simplement eu la grâce de la recevoir pour notre héritage. Cette vérité intrinsèque du christianisme, qui ne tient pas au génie humain, mais subsiste en dépit de sa misère, qui tient de la vérité du Christ en tant que Verbe incarné de Dieu, est telle que, même inconsciemment, ce que nous louons des sagesses, des cultures, des spiritualités pré-chrétiennes ou non-chrétiennes, c’est ce qui les rapproche, les accorde ou ne les oppose pas au message du Christ – dont nous ne pouvons que savoir – même inconsciemment – qu’il est la vérité. Cela est particulièrement vrai pour le bouddhisme et pour l’Islam. En sorte que, quelle que soit la culture où nous sommes nés, quelles que soient les vérités spirituelles dont nous sommes pétris, quelles que soient les imaginations à travers lesquelles nous allons le comprendre et l’exprimer, quiconque se tournera vers Dieu d’un cœur sincère, rencontrera le Christ sur le chemin de sa conversion. Car il en va comme il est dit en Saint Jean : « Nul ne va au Père qu’en passant par Moi. »

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *