L’amour vient quand il veut

L’amour vient quand il veut

L’amour vient quand il veut et sous des formes que nous n’attendons pas. Il n’est pas toujours un mendiant, il n’est pas toujours un désir sage, obéissant. Il n’est jamais ce que nous décidons qu’il sera. Cependant il reste une certitude, un aiguillon, que nous pouvons formuler comme une loi : c’est que rien ne demeure caché. Rien ne se fait dans le secret qui ne doive être révélé au grand jour. Et ce n’est pas un avertissement pour le pécheur qui voudrait se mal conduire, c’est une promesse pour tous les saints et toutes les saintes du Royaume qui se consacrent aux œuvres de l’amour. Ainsi nous avons le droit de nous aimer, pleinement, librement, le cœur offert, car aucun amour véritable et sincère ne peut nous soustraire à l’amour, ni ne peut être porteur d’aucun germe d’injustice. Et nous connaîtrons les limites qu’il ne faut pas franchir, celles au-delà desquelles nous ne parlons plus d’amour mais d’autre chose. Non seulement nous avons le droit, mais c’est un commandement suprême du Dieu vivant en tant qu’il est le Dieu d’amour, que de nous aimer « les uns les autres » en vérité, comme Lui nous aime et parce qu’Il nous aime ; de ne pas nous dérober là où l’amour nous appelle, quand il nous appelle, ne pas nous détourner en faisant semblant d’avoir entendu autre chose. Et cela sans nous soumettre, de raison ou de prudence, au regard des juges, qu’ils fussent amis ou étrangers, qui sans connaître nous condamnent, parce qu’ils ont de l’amour cette conception étroite que l’on trouve aussi à l’origine des contrats. Mais nous sommes, nous, quand c’est l’amour qui agit, qui nous guide jusque dans ses draps, sous le regard intransigeant de notre propre conscience, et notre conscience est comme un miroir dans lequel se reflète ou se manifeste le regard de Dieu. Nous n’avons qu’un seul juge. Et c’est avec la connaissance, la compréhension, la certitude de cette loi, que nous pouvons avancer en toute confiance, le cœur serein, certes toujours enfant, à la fois craintif, émerveillé et curieux, mais toujours intelligent, toujours fidèle, à l’écoute. Nous faisons un pas, nous en faisons un autre, sans savoir où nous conduira le suivant, en savourant le temps d’une présence, d’une amitié. Ici, nous jouons comme des enfants, nous découvrons timidement notre jeu ; là, on dirait que nous cessons de jouer, ce qui se dit se dit dans le silence, s’écrit sur les lignes de la main, comme un psaume qui souffle à nos oreilles d’un souffle que nul ne perçoit. Voilà la poésie que nous pouvons mettre dans nos relations, dans nos rencontres et nos partages, le poème authentique qui se vit dans la langue des origines. Le premier miracle est que cela existe, et que cela existe entre nous. Il n’y a pas à en chercher d’autre raison. Ce que nous penserions vouloir guérir, ce qui pourrait vibrer de nos blessures, comme le sang appelle le sang, la concordance de nos drames, etc. Nous venons de la terre, nous nous souvenons de comment ça se passe, qu’il y a des cadavres dans nos placards, des planches pourries et de la vermine qui grouille sous ces planches. Et nous ne sommes pas aveugles, même si, c’est vrai, nous savons faire semblant, nous voyons bien la crasse qu’il y a sur nos miroirs, nous savons bien comment il faut nous y prendre pour les faire mentir. Tout cela, c’est notre mouvement naturel, notre état de nature. C’est sûr que nous ne sommes pas très beaux, pas aussi beaux que dans la littérature. Il nous manquerait de cette noblesse simple, animale, que même les chiens et les vaches ont reçue en partage, et qui consiste à avoir les pattes bien enracinées dans la terre. Il nous manquerait de cette présence, dans laquelle nous nous retrouvons parfois, où tout peut nous sembler beau, merveilleux, accompli. De ce désir qui fait croître en nous les fruits de l’amour que nous nous donnons. Un désir tout aussi naturel que son absence, et que nous apprenons, là, dans la distance et dans la proximité. Nous sommes encore des enfants, nous ne savons rien de cet amour qui nous embrase et que nous brûlons de partager ; nous craignons que son feu nous dévore, ou qu’il ne soit qu’une illusion et qu’il ne nous dévore pas. Nous apprenons au contact de l’autre, de son propre feu. C’est là que nous reconnaissons une rencontre où ce sont nos âmes qui nous dirigent. La partition s’écrit dans le temps, dans la durée, dans la mesure, elle se déploie, en suivant son rythme propre, dans lequel il nous est recommandé de ne pas intervenir. Mais comme c’est difficile, n’est-ce pas, nous n’allons pas nous mentir, nous ne sommes des saints. Jour après jour nous nous confrontons héroïquement aux obstacles que la vie et nous-mêmes opposons à la possibilité même de la sainteté, de la sagesse en vérité, qui ne peut être que la sagesse de l’amour. Jusqu’où pouvons-nous nous aimer, jusqu’où pouvons-nous nous donner « les uns les autres » avec un esprit de sagesse et de vérité, cela, précisément, nous ne le savons pas avant d’en avoir fait l’expérience, et chaque jour l’expérience demeure une inconnue, un saut dans une vie nouvelle. Ici, une fenêtre s’ouvre, un courant passe, qui agite les portes et fait branler les murs, nous sentons frémir quelque chose que nous voulons connaître, que nous voulons éprouver, qui s’éprend de notre désir. Et ce n’est peut-être pas autre chose qu’une fenêtre qui s’ouvre et qui ne demandait qu’à s’ouvrir, à être ouverte, un courant qui avait besoin de passer, qui passe et qui passera quoiqu’il arrive.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *