La famille à l’envers

La famille à l’envers

« Les prémisses – les conditions générales – commencent par la mise en scène de “la famille à l’envers”. C’est le commencement du commencement. […] Cette généalogie, en son principe, est la fin de la famille consanguine – de tous les systèmes de la parenté fondés sur les liens du sang. On sait que ces systèmes sont innombrables et que leur prolifération et diversification recouvre l’histoire de l’humanité. Ces systèmes proposent des déterminismes fondamentaux, historiques, sexuels, affectifs, socio-économiques, etc. La famille à l’envers n’étant pas fondée sur les liens du sang est la famille qui permet d’échapper à tous ces déterminismes biologico-sociaux et, au-delà de ces modalités, à la fatalité. C’est le règne de la liberté. Le fils choisit père et mère. Et ceux-ci choisissent aussi ce fils. La préférence est réciproque. La généalogie de la famille à l’envers est faite de trois moments. C’est d’abord le triomphe des “affinités électives” : “Parce que c’était lui, parce que c’était moi”. Le choix est absolu. Mais il ne s’agit pas là d’un caprice, d’un fantasme. Ces affinités électives veulent la durée, l’organisation de cette durée. Elles peuvent devenir fortes au point de devenir filiations spirituelles. Alors elles se substituent aux liens du sang pour accomplir le rôle et la mission de la famille. Mais ce qui est le plus déterminant, le plus décisif, c’est que cette famille idéale veut et peut devenir une famille réelle. On ne saurait trop insister sur l’importance de ce “transfert”. En effet, il ne s’agit plus alors d’un élitisme de circonstance, accidentel, local, marginal, cas d’espèce, d’une situation passagère due au hasard ou à la chance et qui disparaît très vite, engloutie par l’institutionnel. Au contraire : la famille à l’envers – celle qui est en dehors des liens du sang – s’achève et s’accomplit par l’institutionnel, la généralité, la loi. Se révèle alors l’essentiel, le structural, le sens de cette famille à l’envers, son prodigieux pouvoir démiurgique, celui de changer le monde. C’est l’existentiel, en son étymologie, en sa spontanéité, en son effervescence qui veut, qui désire – pour se réaliser, pour passer de la puissance à l’acte – l’institutionnel, la famille, le système de la parenté. Le désir veut, désire l’institution, pour être durée, pour garantir cette durée, celles des conditions de son existence. Et ce désir est tel que pour être, il a le pouvoir de se défaire de l’ancien système de la parenté – celui qui est fondé sur les liens du sang, celui de la préhistoire – pour refaire le monde, abolir ce Vieux Monde en créant un nouveau système de la parenté, celui qui est fondé sur les filiations spirituelles. […] Cette famille à l’envers n’est-elle pas l’expression de l’utopie, de la plus belle des utopies ?… N’est-ce pas l’utopie la plus parfaite, celle qui reprend le rêve d’amour universel, institutionnalisé, reproduit par la famille idéale. »

Michel Clouscard, Traité de l’amour fou (1993), Saint-Denis, éditions Kontre Kultre, 2016, p. 19-20.

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