
Qu’est-ce qu’une “communauté” ?
« Une “tribu”… est un groupe local qui se forme quand un certain nombre de groupes de parenté s’unissent pour défendre et se partager les ressources d’un territoire qu’ils exploitent séparément et/ou en commun. […] en s’unissant pour défendre un territoire, s’échanger des femmes ou initier leurs enfants, les groupes de parenté qui composent la tribu agissent de telle sorte que chacun d’eux dépend des autres pour se reproduire et reproduit les autres en se reproduisant. Tous ces groupes de parenté partagent la même langue et la même culture. Par “culture” nous désignons l’ensemble des représentations de l’univers, des principes d’organisation de la société, des valeurs et des normes de conduite, positives et négatives, auxquels se réfèrent les individus et les groupes qui composent la société… lorsqu’ils agissent sur les autres, sur eux-mêmes et sur le monde qui les entoure. […] Par “ethnie” nous entendons l’ensemble des groupes locaux… qui se reconnaissent une origine commune, parlent des langues proches appartenant à la même famille, et partagent en outre des modes de pensée et des modes de vie, c’est-à-dire des représentations de l’univers et des principes d’organisation de la société, qui manifestent par leurs différences mêmes leur appartenance à une même tradition dont ces différences apparaissent comme autant de transformations possibles… mais un ethnie n’est pas une “société”… Ce qui fait des Baruya une société, c’est d’abord que ce groupe possède une identité qui s’exprime par un “grand nom” (les Baruya), un nom unique qui recouvre sans les exclure les noms des groupes particuliers (clans et lignages) et ceux des individus qui les composent et leur confère à tous une identité spécifique, globale, commune, qu’ils reconnaissent et que reconnaissent également les autres groupes territoriaux qui les entourent et qui, eux aussi, ont un grand nom… Ce grand nom est toujours associé à un territoire dont les limites sont connues des groupes voisins, même si ceux-ci ne les admettent pas, et sur lequel le groupe en tant que tel, autrement dit qui est perçu comme un tout par ses voisins, exerce une sorte de souveraineté… Ce qui fait donc des Baruya, des Wantekia, etc., des sociétés différentes au sein de cet ensemble ethnique, c’est que chacun de ces groupes contrôle un territoire distinct dont les membres exploitent les ressources et en tirent l’essentiel de leurs moyens matériels d’existence. Ce territoire constitue donc la condition première de la reproduction des unités sociales qui composent ces sociétés, clans, lignages, etc., et dont la reproduction des rapports sociaux qui les lient entre eux, par le mariage, les initiations, les pratiques rituelles, la solidarité dans la guerre, etc. Pour qu’une société existe (comme un tout capable de se reproduire), il faut qu’aux composantes “idéelles” de la vie sociale (les représentations de l’univers, les principes d’organisation de la société, les valeurs, les normes de conduite) s’ajoute un rapport d’appropriation à la fois sociale et matérielle d’un territoire dont les membres du groupe tirent une fraction significative de leurs moyens matériels d’existence. »
Maurice GODELIER, Métamorphoses de la parenté, Paris, éditions Flammarion, coll. “Champs essais”, 2010, pp. 57-62.
