Je parle aujourd’hui du Christ comme je parlais hier de Zarathoustra

Je parle aujourd’hui du Christ comme je parlais hier de Zarathoustra

Je parle aujourd’hui du Christ comme je parlais hier de Zarathoustra. Comme d’une évidence. Comme la seule chose que je dissimulais. Le nom de mon épine ou ma couronne d’épines. Longtemps je me suis persuadé que je n’étais pas celui -là, je ne voulais pas être porté au nombre des imbéciles et des croyants. Chevauchant sur les épaules de Zarathoustra, je voulais être le premier des incroyants, le héros des sans-dieu, rallumer des brasiers dans le cœur des hommes que trop de siècles d’espérances vaines avaient laminés ; je croyais précéder les cortèges de ceux qui se lèveront demain d’une ombre ou d’un empan, marcher comme pour la première fois sur le pressentiment d’une terre vierge, arpenter des chemins de traverse que les sages eux-mêmes avaient depuis longtemps oubliés. Je croyais devoir affirmer autre chose, une autre vérité ou un autre destin, dont je m’acharnais à ne jamais trouver la formule.

Ce n’est pas seulement de dire « Je crois en Dieu » – même si c’est comme un grand pas que d’être parvenu à l’évidence que je crois en Dieu !

Mais il y en a des tas, des mecs qui croient en Dieu, qui lui attribuent la cause de tout ce qu’ils ne se sentent pas le courage d’assumer, ou la propriété magique de pouvoir faire que ce qui est ne soit pas ou que ce qui n’est pas soit… Il y en a d’autres, des tas aussi qui se disent « spirituels », qui méditent en adressant leurs intentions à « l’Univers », qui allument des bougies et des encens, la pièce ornée d’attrapes-rêves, de petits angelots ou de statuettes à l’effigie de Bouddha – mais à qui il ne faut pas parler de Dieu et qui répugnent à la lumière du Christ…

Or c’est bien le Christ en personne qui me fut montrer lorsque pour la première fois sous les yeux de mon esprit les cieux se sont ouverts.

Et c’est comme dans un perpétuel questionnement que je suis entré dans cette épreuve de la foi, sans réponse et sans croire véritablement qu’il soit possible d’en trouver…

*

Toutes les pensées que je ne donne pas à Dieu, ces émotions éparpillées dont le diable raffole, en chaque instant, en chaque lieu. Tous ces matins où je râle, ces prières où je ne me retrouve pas – et mon petit ruisseau, dont je me demande s’il n’est pas en train de devenir un objet de littérature…

Voilà ce que je trouve dans le sac de mes préoccupations.

Un jour, à la radio, j’entendis un prêtre qui parlait des épreuves, des embûches qui ne cessent de surgir sur le chemin des croyants et qui sont propres à nous faire renoncer – mais que nous pouvons aussi comprendre et traverser comme un apprentissage : « Et ne devrions-nous pas être en joie, en tant que croyants, que notre foi et notre véracité soient éprouvés par notre Seigneur ? Cette épreuve que nous traversons, n’est-elle pas épreuve de son Amour ? »

Contrairement à certaines croyances que le jeune disciple peut nourrir lorsqu’il s’élance pour la première fois en quête de résolutions spirituelles, Dieu ne rend pas les choses plus faciles à mesure que nous progressons sur notre voie ; on peut même dire que la barre qu’il place au-dessus de notre tête ne cesse d’être haute, si bien qu’il finit par ne plus y avoir de barre du tout…

Les questions ou problèmes que nous sommes amenés à nous poser ou à résoudre sont à la fois plus complexes, plus subtils et plus profonds – les seuls qui soient essentiels…

Il y a quelques mois encore, je ne me préoccupais pas, dans le tumulte de mes émotions et de mes pensées, de ce qui devait retourner à Dieu et de ce que je gaspillais continuellement pour les offrandes du diable.

C’était cela, la question de la prière, ce n’est peut-être que cela, la pensée de cette relation, de cette présence dans la moindre respiration, dans le moindre geste, dans la moindre parole…

… rien ne se produira en dehors de la pensée de cette relation. Rien ne sortira des terres longtemps brûlées de nos espérances, que ce que d’ors et déjà nous remettons à Dieu. Et sachez bien que ce n’est pas un croyant docile qui vous parle, ce n’est pas sans fracas ni sans encombres que je m’approche de l’Église du Christ.

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C’est une profession de foi que je dicte à ma conscience depuis la nuit des temps où Je Suis, et qui se dévoile comme une inattendue. Je ne fais pas semblant de ne pas comprendre ou de me prendre les pieds dans le tapis ; je ne fais pas semblant de vouloir être naïf et de regarder tout cela avec les yeux d’un enfant… Ce ne sont pas seulement mes expériences de la prière (comme s’il y avait dans cette pratique quelque chose à réaliser) mais ce sont surtout les expériences les plus simples, lorsque je me donne la peine d’entrer… C’est cette relation de ma pensée troublée, émue, et du geste simple de tendre la main pour se saisir d’une poire et de la déposer dans sa balute…

Qui sait les chemins qui peuvent nous attendre à partir de là, les accidents sur le parcours, les joies et les épreuves, les fruits et les conséquences de notre décision ? Les oracles et les voyants ne se trompent pas quand il s’agit de prédire ce qui se laisse lire à la surface des choses, mais pour le reste, pour l’essentiel ?… L’histoire est écrite en fonction de chacun de nos pas. « Quel est le prochain pas de ma vie ? » Libre à nous d’en faire l’objet d’une indécision toujours renouvelée, d’un problème à soulever, d’une angoisse ou d’une épreuve insurmontable, de tortiller des fesses pour dire qu’on s’agite pour quelque chose – ou qu’on ne s’agite pas.

C’est la leçon éternelle des indécis.

La barre ne cesse d’être haute, le chemin ne cesse d’être parcouru. Tous les matins, lorsque le soleil se lève et que nous nous éveillons, nous prenons rapidement la mesure de ce que nous n’avons pas réalisé la veille et que nous devons pourtant recommencer ; de toutes ces choses que nous remettons toujours au lendemain et qui s’accumulent comme de la vaisselle sale dans l’évier. Et nous ne disposons ni de machines ni de mantras pour le réaliser à notre place.

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Ils sont rares, mais il me reste encore un ou deux enseignements précieux de mes lectures du Coran. La première chose que j’ai apprise, c’est la crainte de Dieu, crainte de cette puissance de vie qui est au-delà de toute puissance, de cette volonté qui est au-delà de toute loi ; cette crainte qui fait mettre les hommes à genoux dans la supplique d’une vénération aveugle et qui les conduit parfois durement à l’obéissance. Certes, à ces sentiments de crainte, de vénération, d’obéissance, est adossée une espérance de récompense absolue, d’une juste rétribution pour ses efforts de soumission. Espérance sans laquelle le croyant pourrait se demander longtemps quelle est la raison de cette vertu qui pousse au sacrifice sans que l’on ne voie jamais rien venir…

L’autre leçon essentielle, comme un avertissement, nous apprend ce que c’est que l’hypocrisie dans un contexte spirituel. Non pas l’hypocrisie de celui qui se contente de feindre en apparence la triple vertu de l’Islam (crainte, vénération, obéissance) – car celui-ci pourra tromper bien des hommes, mais jamais il ne trompera Dieu ; mais celle de celui qui, alors qu’il se trouve consumé dans le feu de l’épreuve, d’un cœur sincère se tourne vers les Anges du Ciel pour implorer leur secours, et qui, une fois le secours accordé, le miracle accompli, se détourne fièrement du chemin de la vérité qui s’était alors ouvert sous ses pas, renie ses prières et ses larmes, attribuant son salut au seul fait du « hasard » ou de sa superbe « volonté ». De ceux-là, on peut dire qu’ils ont trompé Dieu, en ce sens qu’ils ont manqué à leur parole, à leur promesse ; on peut s’attendre en retour à ce que Dieu les égare, jusqu’à ce que leurs pas arrogants les aient conduit aux limites des bordures extérieures, de ce côté du monde où sont les pleurs et les grincements de dents.

Quant à moi, je fis une promesse à Dieu, peut-être la seule promesse que je ne voudrais pas trahir : de ne jamais compter au nombre des hypocrites.

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Lorsque le Christ s’en fut au désert rencontrer ses démons, ce que Satan lui offrit, c’est la domination sur le monde, une gloire humaine. C’est comme ça qu’il fait, il caresse vos désirs.

Mais peut-être aussi que la sagesse est le fruit de certaines erreurs que nous avons commises ?

Je porte aujourd’hui ma croix et mon chapeau, en homme non pas brisé mais rendu humble par les épreuves de la vie. Et si vous ne me voyez pas le dos courbé, mais que je passe parfois en sifflotant tout près de votre route, rappelez-vous que ce n’est pas parce que la terre saigne que les oiseaux s’arrêtent de chanter.

Automne 2019

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