Nietzsche contre Saint Paul

Nietzsche contre Saint Paul

« On voit ce qui a pris fin avec la mort sur la croix : l’ébauche nouvelle et parfaitement originale d’un mouvement de paix bouddhiste, d’un bonheur sur terre effectif, et non plus seulement promis. Car – je l’ai déjà souligné – telle reste la différence fondamentale entre les deux religions de décadence : le bouddhisme ne promet rien, mais tient ; le christianisme promet tout, mais ne tient rien. ‒ La « Bonne nouvelle » fut suivie, sur les talons, de la pire de toutes : celle annoncée par Paul. En l’apôtre Paul s’incarne le type opposé à celui du « messager de bonne nouvelle » : le génie dans la haine, dans la haine visionnaire, dans la logique implacable de la haine. Que n’a-t-il pas sacrifié à la haine, ce « Dysangéliste » ! En premier lieu, le Rédempteur : il l’a cloué sur sa croix. La vie, l’exemple, l’enseignement, la mort, le sens et la justification de tout l’Évangile, ‒ il n’en resta plus rien lorsque ce faussaire par haine eut compris ce qui seul pourrait servir ses fins. Pas la réalité, pas la vérité historique !… Et, une fois de plus, l’instinct sacerdotal du Juif commit le même grand crime contre l’Histoire, ‒ il effaça purement et simplement ce qui était l’« hier » et l’« avant-hier » du christianisme, il inventa à son usage une histoire du christianisme primitif. Plus encore : il falsifia une fois de plus l’histoire d’Israël, afin qu’elle apparût comme la préhistoire de ses actes : tous les Prophètes ont parlé de son Rédempteur… Plus tard, l’Église est allée jusqu’à falsifier l’histoire de l’humanité pour en faire la préhistoire du christianisme… Le personnage du Rédempteur, son enseignement, son action, sa mort, le sens de sa mort, même ce qui a suivi sa mort, rien n’a été épargné, rien n’a même gardé le moindre rapport avec la réalité. Paul a simplement transféré le centre de gravité de toute cette existence après cette existence – dans le mensonge de « Jésus ressuscité ». Au fond, il n’avait que faire de la vie du Rédempteur – ce dont il avait besoin, c’était de sa mort sur la croix, ‒ et de quelque chose de plus… Tenir pour sincère un Paul de Tarse, dont la patrie était le centre du rationalisme stoïcien, lorsqu’il arrange une hallucination en preuve de la « survive » du Rédempteur, ou simplement lui prêter foi lorsqu’il raconte qu’il a eu cette hallucination, voilà qui serait pure niaiserie de la part d’un psychologue : Paul voulait la fin, par conséquent il voulait aussi les moyens… Ce que lui-même ne croyait pas, les imbéciles parmi lesquels il répandait sa doctrine le crurent. ‒ Son besoin à lui, c’était le pouvoir : en Paul, c’était encore le prêtre qui aspirait au pouvoir, ‒ tout ce qu’il lui fallait, c’étaient des idées, des enseignements, des symboles, grâce auxquels il pût tyranniser les masses, former des troupeaux. Quel est le seul emprunt que, plus tard, Mahomet fit au Christianisme ? L’invention de Paul, son moyen d’asseoir la tyrannie des prêtres, de former des troupeaux : la croyance en l’immortalité – c’est-à-dire la doctrine du « jugement »…

Friedrich Nietzsche, L’Antichrist, trad. J.-C. Hémery, Paris, éditions Gallimard, « Folio essais », 1974, § 42.

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