Les Apôtres des Derniers Temps

Les Apôtres des Derniers Temps

J’adresse un pressant appel à la terre : j’appelle les vrais disciples du Dieu vivant et régnant dans les cieux ; j’appelle les vrais imitateurs du Christ fait homme, le seul et vrai sauveur des hommes ; j’appelle mes enfants, mes vrais dévots, ceux qui se sont donnés à moi pour que je les conduise à mon divin Fils, ceux que je porte pour ainsi dire dans mes bras, ceux qui ont vécu de mon esprit ; enfin j’appelle les Apôtres des derniers temps, les fidèles disciples de Jésus-Christ qui ont vécu dans le mépris du monde et d’eux-mêmes, dans la pauvreté et dans l’humilité, dans le mépris et dans le silence, dans l’oraison et dans la mortifications, dans la chasteté et dans l’union avec Dieu, dans la souffrance et inconnus du monde. Il est temps qu’ils sortent et viennent éclairer la terre. Allez, et montrez-vous comme mes enfants chéris ; je suis avec vous et en vous, pourvu que votre foi soit la lumière qui vous éclaire dans ces jours de malheur. Que votre zèle vous rende comme des affamés pour la gloire et l’honneur de Jésus-Christ. Combattez, enfants de lumière, vous, petit nombre qui y voyez ; car voici le temps des temps, la fin des fins…

Message de Notre-Dame de la Salette, le secret de Mélanie.

I.

Seigneur, je n’oublie pas d’où nous venons, les uns et les autres. Ne sommes-nous pas, nous aussi, des cloaques d’impureté ? Parce que nous portons notre péché, sous lequel il nous arrive de ployer, tant nous sommes faibles, de corps et d’esprit. Aucun de nous n’aurait tenu devant le visage de Notre Seigneur lorsqu’il pardonnait au monde qui le clouait sur la croix, quand il purifiait nos âme avec son sang pour que nous ayons la vie sauve ; aucun de nous n’aurait eu le courage des femmes et des quelques disciples qui restèrent au pied de la croix, une lame leur traversant le cœur. Et pourtant tu nous a choisis, Seigneur, pour te suivre et pour te seconder, dans cette tâche immense qui est la tienne depuis les commencements et qui soutient tout l’univers, visible et invisible, et toute notre vie nous nous sommes demandé si réellement nous en étions capables. Tu nous révèle, au temps voulu – et bientôt nous n’aurons plus d’autre tâche.

Nous sommes deux siècles après, et nous savons quelles horreurs et quelles abominations ont été vomies par le monde. Nous nous en sommes fait une mémoire. Et après ? Après, tout à continué comme avant. Tout est même allé de mal en pis. L’Adversaire semble plus fort et plus vorace qu’il ne l’a jamais été. Déjà nous avions cru la voir surgir au siècle dernier, la verge de fer qui gouvernera les nations, mais peut-être n’était-ce qu’une préfiguration imparfaite, une parodie de Jugement, un apocryphe de la colère divine. Si bien que le secret, qui fut scellé sur les lèvres de la bergère de la Salette, par les doigts spirituels de Notre-Dame, semble avoir été révélé pour ce matin, pour annoncer le jour qui vient. Et nous le prenons pour notre jour, pour notre pain, ainsi que nous devons recevoir toute parole de Dieu, humblement, le cœur dérouté, en laissant travailler le silence en nous. N’essayons pas de comprendre avant le temps – ce que naturellement notre esprit ne fait pas, lui qui voudrait tout saisir, tout embrasser, et tout de suite. Lequel d’entre nous a-t-il reçu sa récompense ici-bas ? Et quel diable veut donc nous parler d’une récompense à tout prix ? Est-ce pour obtenir une récompense que nous avons tant marché ; n’était-ce pas plutôt pour honorer une promesse ? Peut-il éternellement se dire élu de Dieu le peuple qui a continuellement besoin d’une carotte et d’un bâton pour avancer ; celui-là ne sera-t-il pas plutôt considéré comme un âne ? Mais c’est bien ainsi que nous sommes, nous qui demandons à Dieu des grâces en abondance avant que nous acceptions de le reconnaître et de marcher dans ses pas.

Nous sommes les brebis égarée de la parabole, celles qui sont allées se risquer au bord des abîmes, là d’où l’on n’est jamais vraiment sûrs de pouvoir revenir, emportées par toutes les turbulences du siècle. Nous ne savions même plus qu’il y avait des saints auxquels nous vouer et que nous pouvions implorer aux heures de profondes détresses, pour notre secours et celui de toute les âmes. Nous avons dû le redécouvrir, tout cela. Ces trésors de prières, ces armures, cuirasses de la justice, bouclier de la foi, ceinturons de la vérité, casques du salut, glaives à double tranchant de la parole de Dieu, ‒ tous ces équipements de combat donnés par Dieu, que nous pensions cachés, que nous pensions enfouis, oubliés, détruits, mais qui n’avaient cessé pendant tout ce temps de demeurer sous nos yeux, mémorial palpitant, qui n’attendait que les battements de notre cœur, que notre oui, lui aussi palpitant, embrasé, notre entière dévotion, et qui l’attend encore, car nous sommes lents à nous courber. Alors ils peuvent rejaillir du cœur des ténèbres, comme une épée resplendissante de lumière, portant à son faîte une couronne – la couronne de gloire. Ces trésors qui demeureront intacts jusqu’à la fin des temps. Comme l’Église, selon sa nature de corps mystique, demeurera intacte, jusqu’à l’heure venue de sa consommation finale.

Nous sommes ces brebis qui s’en reviennent, non point dans la gloire, mais humiliées et tremblantes, de peur et de froid, sans doute riches d’une richesse qui ne sera jamais comparable à celle des autres bêtes du troupeau qui n’ont jamais eu la folie de s’égarer, de vouloir suivre un autre berger ou de se prendre elles-mêmes pour leur propre berger ; mais aussi certainement encore et pour longtemps traumatisées par la conscience de la perdition (‒ mais cette conscience est-elle jamais assez vive ?) qu’elles ont frôlée de tout leur être et qui occupe jour et nuit la production faramineuse de leurs cauchemars. Elles ne partagent pas la même intensité de joie que le berger qui les retrouves ; la première demeure dans laquelle elles entrent, c’est une maison de deuil. Elles ne savent si le ciel sera assez long pour leur pénitence. Nous ne serons jamais assez purs pour nous présenter face à Notre Seigneur Jésus-Christ comme ses imitateurs, ses fils adoptifs ou ses amis. À nous aussi, nos péchés crient vers le ciel et il s’en faut de beaucoup pour que nous laissions notre conscience crier avec eux. Pourtant, c’est dans cet état de péché, de faiblesse, d’incapacité, que tu es venue, ô ma grande et merveilleuse Dame, nous cueillir et nous relever, et nous rappeler au seul chemin pour lequel Dieu nous fit venir au monde. À l’amour infini de ton Fils, que Dieu veut voir croître en chacun. Car le ciel et la terre passeront, mais ses paroles ne passeront pas.

Oui, tu es venue nous chercher dans la fange, où nous voulions patauger, en oubliant nos âmes sur le bord de la route et en laissant aux porcs le soin de nous distraire. Tu nous a arrachés, avec violence, cette suave violence de l’amour dont parle Saint François de Sales, à ce monde où nous voulions nous perdre et nous oublier, oublier que nous étions appelés à devenir fils de Dieu. Ce monde même, au prix même de nos douleurs, de nos renoncements, nous fut barré. Et ce fut pour nous un signe, que tous les désirs et tous les plaisirs liés à ce monde, ne produisaient en nous que tristesse et souffrance. Ce n’est pas qu’ils nous étaient interdits, au contraire, nous les éprouvions et voulions les éprouver comme n’importe qui, plus que n’importe qui, à des intensités remarquables ; et nous aurions donné notre âme, si nous avions pu, pour pouvoir un instant plonger dans l’enfer de nos passions sans en éprouver de vertiges, sans éprouver la sensation de plonger dans un bain de poisons. Mais cela, justement, nous ne le pouvions ; cela, précisément, nous fut interdit.

Tu ne nous a pas choisis pour nos vertus, notre intelligence ou nos grandes capacités ; nous ne sommes ni les plus forts, ni les plus endurants, ni ceux dont la volonté est la plus ferme en ses résolutions. Nous sommes à peu près le contraire de ça, chacun avec notre style, notre maladresse propre, notre imperfection qui crie vers le ciel à la miséricorde du Seigneur. Mais nous savons que Dieu, depuis toujours, choisi les faible pour confondre les forts, les esclaves pour confondre les puissants, la folie pour confondre la sagesse orgueilleuse des hommes. « Car ce qui est folie aux yeux des hommes, est sagesse auprès de Dieu. » Et c’est pour cela que nous apprenons à relever la tête, à redresser notre âme en même temps que notre corps. Que tu nous apprends, jour après jour, ô notre bonne Dame, patiente comme une mère sait l’être avec ses enfants – et Dieu sait combien nous fûmes des enfants turbulents. Tu nous apprends à relever la tête, et à porter chaque jour la croix que nous aussi nous sommes venus porter, à la suite de ton glorieux Fils.

Ô Sainte Vierge ! Chaque jour reconnaissons devant toi et devant toute la cour céleste, que nous sommes pécheurs, et apprenons à nous humilier devant le trône de Dieu ; mais chaque jour avançons. Ce n’est pas notre Dieu, mais bien le vieux serpent à la tête écrasée, qui veut que nous demeurions esclaves, dans la fange de notre péché, que nous nous sentions à tout jamais indigne de Sa prière et de Son pardon, pour la moindre fêlure – et alors il est très facile au fils de perdition de nous tenter. Mais notre Dieu sauve ; il ne passe pas ses jours et ses nuits à nous accuser, à nous écraser sous le poids de notre remord, à nous épuiser dans l’enfer d’une faute imprescriptible. Dieu veut la rémission de nos péchés, notre purification par leur expiation. Nous plongeons dans les eaux du baptême pour nous purifier, non pour nous accabler davantage. Avançons donc, chaque jour un pas, et laissons-nous conduire par ta main. Donnons notre oui plein et entier, notre seul oui, pour l’ouvrage que tu attends de nous, le simple ouvrage, le modeste ouvrage, qui passera sur le côté du monde comme un souffle que nul ne perçoit.

Nous avons chacun reçu une mission particulière, et un nom, inscrit depuis toujours sur le Livre de l’Éternité. Un ordre et un commandement. Au moment voulu, des anges s’en viennent nous visiter, s’imposent d’une façon ou d’une autre à notre conscience, pour soulever un coin du voile de notre ignorance. Cela n’arrive pas tous les jours. Pourtant, nous devrions apprendre et nous habituer à vivre en leur compagnie, à prier pour qu’ils nous guident, nous protègent et intercèdent pour nous et pour les âmes de ce monde, auprès de Celui qui les envoie. À vivre comme si nous étions à proximité, aux prises directes avec ces réalités spirituelles, tout en admettant qu’elles demeurent pour nous, et qu’elles demeureront, un grand mystère. Nous devrions commencer par là : croire au Royaume advenu comme seuls les enfants savent et peuvent y croire.

II.

« Écoutez-moi, îles lointaines ! Peuples éloignés, soyez attentifs !

J’étais encore dans le sein de ma mère quand le Seigneur m’a appelé ;

j’étais encore dans les entrailles de ma mère lorsqu’il a prononcé mon nom. »

Isaïe, 49, 1.

Admettons cette évidence un peu folle, en présence de laquelle l’esprit vacille et le monde tremble sur ses fondements : que toute cette histoire, celle du Salut ou de la Révélation, ne nous dit pas le passé et ne nous dit pas l’avenir (même si tout le passé et tout l’avenir s’y trouvent contenus et récapitulés), mais nous livre une Parole éternelle qui nous parle pour notre présent, pour ce temps que nous sommes en train de vivre, qui n’est pas un temps ordinaire, un temps comme il pourrait y en avoir d’autres – car aucun temps n’est ordinaire dans le Temps de Dieu. C’est aujourd’hui que l’Apôtre nous exhorte, à la prière, au combat, à nous édifier par et dans la pratique de l’espérance, de la charité et de la foi. Ce n’est pas pour hier, et ce n’est pas non plus pour demain, qu’il nous dit : « Nous sommes plus proches du Salut que le jour où nous avons commencé à croire… » C’est l’aujourd’hui de l’Évangile, ce temps particulier de l’Écriture, qui se conjugue selon des temps et des modes que notre pauvre grammaire humaine ne comprend pas, et que nous sommes bien forcés de traduire comme nous pouvons, sommairement. C’est l’aujourd’hui de la Parole que Dieu nous livre dans sa chair et dans son sang, du Pain de notre vie que nous recevons chaque matin, l’aujourd’hui de la Révélation de Notre Seigneur Jésus-Christ, de son triomphe sur la mort, de son entrée en gloire dans le Royaume des cieux, et, pour nous, de son avènement. C’est de ce temps-là que nous devons vivre, que nous vivons, lorsque, par grâce, la main de Dieu nous soustrait au temps vaniteux des horloges.

Ce temps particulier de la Parole de Dieu, ce « présent de l’inaccompli » qui traverse l’Écriture comme un souffle, cette langue énigmatique de l’Esprit Saint, qui est fulgurance à nos pauvres oreilles et patience de l’enseignement dans le creuset de nos âme, c’est cela même qui se saisissait de Jésus lorsqu’il cheminait en compagnie des Prophètes, et qu’il expliquera des années plus tard, lorsqu’il dévoilera l’aujourd’hui de la parole d’Isaïe : « C’est aujourd’hui que cette parole s’accomplit… » Et c’est cette même énigme de la langue prophétique, ce mystère de la Parole de Dieu, qui revient nous saisir, quelques trois mille ans plus tard, au même endroit, lorsque nous revenons nous-mêmes sur ces traces, que nous nous laissons saisir par cette voix dont nous avons perçu l’écho qui clamait dans le désert, comme si nous vivions nous aussi, à mille et une lieue que nous sommes de la Sainte montagne de Dieu, un peu de ce temps évangélique qui s’accomplit sous nos yeux, cependant que nous étions accoutumés, par ivresse sans doute, à voir s’accomplir tout autre chose. Et c’est d’ailleurs la seule façon pour que le Prophète, revenu de ses exaltations et de ses profondeurs, se donne à nous dans son langage de vérité. C’est à la lumière de ce jour, par la grâce de l’Esprit Saint, que la Parole s’éclaire et qu’elle trouve à s’incarner.

C’est ainsi que s’ouvre l’Écriture , lorsque nous comprenons, à demi-mots, que la parole que Dieu nous livre nous concerne, et qu’elle nous concerne intimement, que nous avons chacun notre part à l’intimité de la Parole et de la Promesse. Mais il faut que nous prenions notre part. Tout comme, héritiers de la Parole et de l’Ouvrage commandé par le Seigneur notre Dieu, il faut en quelque manière que nous nous appropriions cet héritage. Comme si la Sainte Vierge avait pour chacun d’entre nous un « secret », une mission particulière à nous confiée, comme si nous étions, chacun de nous, un moment de ces temps derniers de la Révélation, et que chacun de ces moments devait s’accomplir, en son temps et selon son œuvre.

Et nous sommes entre ces deux rives impossibles, hier encore exténués de combats et de fantômes agonisants, où nos prières se perdaient dans le silence énorme d’un ciel qui refusait de crever. Nos péchés et nos plaies hurlaient vers le ciel et n’attendaient du ciel nulle réponde. Notre prière… Elle était comme l’ombre d’une flamme puissante qui dansait au-dedans de nous, elle nous précédait dans les abîmes où de toute manière nous allions devoir sombrer… Elle était toujours comme un écho lointain, qui nous venait du futur ou qui nous venait du passé, nous ne savions pas très bien, embrouillé de chagrins, de la cime du pardon, d’un vertige qui nous était jusqu’alors inconnu. Que savions-nous de l’alliance de nos pères ? Notre prière – notre seule présence et notre juste place ; il arrivait que nous la rencontrions, au seuil d’une rupture, au bord d’une rivière, perché sur un rocher de misère d’où l’on aurait cru voir surgir les ailes de l’Ange du Salut – timides en ce temps-là, tout juste frémissantes. Son visage était comme creusé par nos larmes, mais son doux sourire, plein de miséricorde, peint avec nos plus belles espérances. Nous savions que c’était elle car, lorsque nous la rencontrions, lorsque nous nous jetions à ses pieds comme si nous voulions devenir à jamais ses esclaves, aussitôt notre cœur redevenait comme celui d’un enfant, qui n’aurait plus voulu vivre que de ses extases. Mais c’est aussi ce cœur-là qu’il nous fallût dompter. Et même si nous ne le voulions pas, que nous avions conçu pour nous-mêmes de nous réaliser et de nous accomplir en une autre voie, une autre porte, par laquelle, en entrant, nous n’aurions pas eu à craindre les crachats du monde, c’est la vie elle-même qui se chargea, en quelque manière, de nous faire comprendre que le Vainqueur de la mort n’est vainqueur que pour autant qu’il a soutenu son combat avec l’Adversaire jusqu’au bout. Nul ne sera vainqueur avant le terme. Le cœur du Vieil homme qui palpite, de crainte et d’orgueil, et qui pleure d’amour. Combien il aura fallu en traverser des vallées de larmes, les os en cendres et l’âme collée à la poussière, et combien faudra-t-il en traverser encore, avant que le Vieil homme perde ses poils et cesse de mugir après sa montre ! Dieu seul connaît ces étendues innombrables où nous avons inlassablement désespéré de tout, la sécheresse de nos cœurs dans les profondeurs de l’abîme où nous sommes allés oublier combien nous comptions pour Lui. Dieu seul est assez miséricordieux pour n’avoir pas désespéré de nous depuis longtemps.

Janvier 2023

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